En effet s’il avait été question, grammaticalement parlant, d’utiliser les lunaisons pour le pèlerinage, l’expression aurait pu être, par exemple : hiyya mawâqit lilnâs li-ma‘rifati ayyâm al-hajj. Ici la phrase doit au contraire être envisagée comme coupée, la mention du pèlerinage introduisant une autre unité sémantique : Wa-l-hajj (au sujet du pèlerinage) confortée par sa reprise en parallèle de wa-l-barr (la manière correcte de l’accomplir ne consiste pas à entrer dans les temples par derrière (…).
Il apparaît alors de façon claire que la précision qui suit à propos de l’entrée dans les temples, lieux d’accomplissement des pèlerinages, est placée là pour donner l’indication attendue relativement au calcul des temps de ces mêmes pèlerinages, la position des portes en apportant la clé. Il suffit dans ce cas de se reporter à l’orientation des temples ou « maisons sacrées », correspondant au terme bayt (pl. buyût) dans le Coran, comme l’illustre l’expression « bayt al-haram » pour désigner le maqâm d’Abraham (14, 37) à la Mekke, matérialisé par la Ka‘ba. Or, comme chacun le sait, la porte d’entrée de ce monument se situe sur sa face est, du côté du soleil levant. Le deuxième exemple de maison divine n’est autre, dans le Coran, que le temple construit par David et Salomon à Jérusalem.
Selon la Bible elle-même, il n’y a aucune ambiguïté possible à ce sujet, sachant qu'en hébreu “droite” signifie toujours sud et “gauche” nord et que les Chroniques mentionnent: “quant à la Mer de bronze, il l'avait placée à distance du côté droit (sud-est), donc du côté de Jakin”. En conséquence, sa porte était donc à l’Est, alors que son arrière donnait sur l’Ouest, la direction où apparaît la lune. On peut ajouter à cela la vision d’Ezékiel du temple de Salomon : (Ez. 7, 1) « Et voici que de l’eau sortait de dessous le seuil du temple vers l’Orient, car le temple était tourné vers l’Orient ».
Ajoutons que même les temples romains anciens, ainsi que les temples égyptiens étaient tous, de même, orientés vers l’Est, afin que le soleil puisse toujours toucher en premier lieu l’autel ou la statue du Dieu.
Cette situation justifie le pluriel de généralité (buyût) utilisé par le Coran : l’entrée des maisons (divines) (c'est-à-dire les temples, tous les lieux de culte) se fait par la porte de devant, c’est-à-dire celle qui fait face au soleil levant. Le verset (2, 189) acquiert alors toute sa dimension, la lecture relative à l’interdiction d’entrer par derrière dans « les maisons » en général - y compris les habitations privées-, qui a été le plus souvent adoptée, ne pouvant être retenue, outre le fait qu’elle ne revêt aucune signification religieuse particulière, en raison de la règle de non synonymie, maintes fois vérifiée à présent, qui exclut que bayt (la maison sacrée) puisse être considéré comme synonyme de dâr (la maison individuelle).
Le Coran manifeste donc explicitement ici son choix de calendrier religieux commun à tous les monothéistes : il s’agit du calendrier correspondant à la direction de la porte d’entrée de tous les Temples, un calendrier lié au soleil en fonction duquel doivent être réglés les pèlerinages, visites que l’on accomplit à ces maisons divines, et qui doivent de ce fait respecter le temps de Dieu et non pas le temps calculé par les hommes. Si l’on rapproche ce passage de ceux de la sourate 9, il apparaît qu’un seul calendrier correspond à cette description : le calendrier dit « solaire parfait » du Livre des Jubilés, qui est précisément le seuil herméneutique auquel le Coran renvoie son lecteur à plusieurs reprises. Il consiste en un comput de trois-cent-soixante-quatre jours, selon lequel les dates de toutes les fêtes sont fixes.
En regroupant les versets qui ont trait au calendrier sacré dans le Coran, on trouve en effet les indications suivantes : il s’agit d’un calendrier en relation avec le soleil (en référence à l’orientation des portes d’entrée des temples), qui comporte douze mois, et conçu de telle manière que les mois sacrés reviennent toujours à la même date et le même jour. C’est donc bien l’adoption de ce calendrier spécifique qu’il prône pour l’établissement des dates de pèlerinage au verset (2, 189).
La finesse et la précision de l’expression coranique sont ici remarquables, en particulier pour ce qui concerne l’image des portes, qui revêt ici un double sens. Le premier est celui de la porte des temples, comme on vient de le voir. Le second renvoie au Livre I d’Hénoch selon lequel les luminaires sont représentés comme se levant à des « portes », les portes du ciel (voir le mot en grec) (LXXII, 2) : « Voici la première loi des luminaires, (celle qui concerne) le luminaire soleil. Son lever est aux portes du ciel du côté de l’Orient et son coucher aux portes occidentales du ciel » Toujours selon le Livre d’Hénoch, l’«avant » du ciel est l’Est, conformément à la double acception du terme araméen sous-jacent, l’arrière est l’Ouest, de même la droite est le sud et la gauche le nord » tout comme dans le cas du temple de Jérusalem. C’est ainsi que les portes d’entrée principales de l’ensemble des temples correspondent et se superposent, de par leur orientation, à la porte d’entrée du soleil dans le ciel.
Le sens profond de la métaphore coranique de l’entrée des temples vise, de plus, à souligner qu’il ne s’agit pas là d’un véritable calendrier solaire, c’est pourquoi nous n’avons nulle part employé cette expression précise, mais d’un calendrier « apparenté au modèle solaire ». Le soleil n’est en effet pas la mesure réelle de ce calendrier idéal, qui ne peut dépendre d’aucun être participant à l’univers de l’immanence. Il est seulement, comme le souligne le Coran, sa porte d’entrée, son seuil introductif, le comptage du temps de Dieu étant au-delà de toute atteinte du créé. Participant directement du monde divin des nombres parfaits, il ne peut donc être le résultat d’aucun calcul humain, ni dépendre de la révolution d’aucun astre. Cette situation correspond au fait que, lorsque le pèlerin entre dans la maison de Dieu, il quitte le monde créaturel et le temps qui le régit pour pénétrer directement dans le temps divin et change ainsi, dès ce bas monde, à proprement parler, de dimension.
Voici comment se présente ce calendrier sacré:
Great insights by Gobillot. Had no idea that the paper would address this issue, which is a topic of great interst for me. This seems to vindicate Bonnet-Eymard and Gallez.